L'écume d'un soir, par Léna

Nous y voilà : Vendredi 4 avril 2014, c'est le grand soir.

Une année de préparation en amont, des textes réécrits, appris, un projet de classe, de la complicité, une grande excitation et c'est parti, il faut maintenant tout donner pour que cette expérience merveilleuse et unique se termine sur une magnifique image. Le spectateur qui découvre le résultat final, tranquillement assis sur son fauteuil rouge n'a aucune idée de ce que représente cette ultime journée.

 Tout d'abord, pour ma part, il y a eu le réveil. Comme si l'on sortait d'un rêve et d'un coup, brutalement, notre inconscient nous ramène à la réalité. C'est ce soir, et oui, cette date qui paraissait si lointaine et floue.. ce projet qui tient tant à cœur à nos professeurs, mené depuis une dizaine d'année, rituel annuel pour tous les L... Debout, on se réveille !

Puis, il y a l'arrivée au lycée, les regards sont fébriles, brillants mais déterminés. Pas besoin de mots, de grands discours, nous savons tous ce qui nous attend ce soir et l'enjeu est de taille, c'est un défi à relever. Le rendez-vous est à neuf heures au Quai des Rêves, nous patientons, anxieusement avec une boule au ventre qui grossit de plus en plus. Une fois les portes ouvertes, nous nous dirigeons vers les loges et... cette pensée me vient : tiens, c'est la dernière fois de la semaine que nous les franchirons. Nostalgie immense avant même que le spectacle soit joué.. Tenue de base enfilée, une chemise blanche et un bas noir, le plateau nous attend, silencieux et rempli de belles promesses pour ce soir.

Christophe et Zouliha nous saluent, confiants car le filage d'hier s'est globalement bien passé. Ils nous font alors part des modifications à venir, mais d'abord, nous nous positionnons en cercle sur le plateau. Les mains sont moites, les épaules tendues et les souffles courts. Progressivement, le relâchement, le calme et la concentration feront place au reste. L'énergie positive circule et bientôt nous ne faisons qu'un, les individus font place au groupe et ce cercle, loin d'être vicieux, semble plus uni que jamais.

  Christophe prend alors la parole et calmement nous annonce le déroulement de la journée, tout d'abord nous effectuerons un dernier filage ce matin afin de corriger les légers dysfonctionnements de la veille. Ensuite nous irons manger au self du lycée, l'heure du retour étant 13h15 précisément, aucun retard ne sera permis, dans l'intérêt de tous. La générale se déroulera vers 14h, devant un public composé des neuf classes de seconde, de quelques professeurs, d'une classe de Première professionnelle, d’une classe de 4 ème du collège voisin et de quelques résidents du foyer logement faisant partie du Prix Chronos. Puis à 18h30, un buffet froid sera organisé dans le self et nous mangerons tous ensemble, pour clôturer cette semaine en résidence. La grande première sera à 20h30, au Quai des Rêves bien sûr, et devant parents, professeurs et amis. Quelle belle journée nous attend, intense et pleine de surprises !

   Le filage matinal se déroule bien, et même si tout le monde n'est pas totalement réveillé et que la fatigue, de plus en plus présente se fait sentir, cela rassure de se dire que tout fonctionne, que les enchaînements sont réussis, les transitions défilent et les répliques sont apprises. Nous quittons le plateau à 12h10, je me dirige alors directement vers le Patio du lycée car étant membre du CVL avec Lisa, un Flash-Mob est organisé en coopération avec le festival de Bobital ! C'est parti pour une chorégraphie divinement bien orchestrée par mademoiselle Noémie Lerin et Monsieur Lozach' !     

  Fatigués et affamés, nous courons au self car il est déjà 12h45. Mais devant nos assiettes, l'appétit est tout de suite moins au rendez-vous... le stress, le trac et l'anxiété, tous ces maux bien connus des comédiens font surface et nous empêchent de déguster ce merveilleux repas fourni par le lycée ! Ce n'est pas grave, nos camarades nous souhaitent bonne chance ou d'autres expressions que je ne citerai pas... les larmes montent et le stress gagne encore plus de terrain mais la motivation et l'esprit d'équipe, de solidarité sont les plus forts ! Quoi qu’il en soit, cela nous galvanise et les Premières L se dirigent alors fièrement, d'un pas assuré vers le Quai des Rêves ! Changés, gonflés à bloc et échauffés, nous attendons alors le public de pied ferme. Nous prenons place autour du rideau, près des coulisses quand soudain quelqu'un s'écrie : « Ils arrivent ! Le public est là et s'installe..! »

S'en suit alors un long branle-bas de combat, une agitation folle et une effervescence électrique ! Le ventre se noue et les cordes vocales semblent muettes.. les Terminales ont vite fait de nous rassurer, ils nous redonnent confiance en nous affirmant que quelques minutes après le lever de rideau, le trac disparait et c'est alors pour nous le moment de nous amuser et de tout donner. Madame Guilloteau et Christophe font un petit discours devant les spectateurs qui nous a semblé... interminable ! Or, plus l'attente est grande, plus le stress monte et lorsque les terminales ont commencé à danser le tango des '' Joyeux bouchers '' j'ai cru que mon coeur allait rater un battement tellement il résonnait fort..! Peu à peu, nos têtes ont dépassé du rideau et nous avons alors pu nous horrifier devant le nombre énorme de spectateurs...!! La salle était tout simplement remplie. Seuls les tout derniers rangs du fond étaient restés vides.. Mais que diable, courage ! Ce soir ce sera sûrement et très certainement pire. La représentation a donc commencé et les terminales avaient raison, une fois que la chanson de Vian '' On n'est pas là pour se faire engueuler '' fut chantée, le trac s'est volatilisé pour laisser place à une énorme montée d'adrénaline et de joie. On se regardait dans les coulisses, des étoiles pleins les yeux, de l'excitation se lisait sur les visages et j'imaginais les pensées et émotions de mes camarades lorsque leur tour d'entrer sur scène arrivait. Et dans cette cohue, ce tumulte tourbillonnant, Christophe veillait sur nous, confiant et serein, se prenant même parfois des petits-fous rires discrets ! Je ne raconterai pas tous les détails incongrus de cette merveilleuse première représentation devant un public mais je retiendrai peut-être ce moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.. cette chute en rollers, totalement imprévue et soudaine. Ce moment de flottement, comme si la scène était sur pause et que j'étais le seul personnage en action, puis ce déluge, cette avalanche de rires...! Ma difficulté à me mettre debout fut telle que j'ai même pensé un instant à m'enfouir sous la scène afin que personne, jamais, ne me retrouve mais grâce à une pirouette majestueuse, j'ai réussi à retrouver mon équilibre et à vite me dépêcher de disparaître en coulisse, non sans avoir jeté un rapide coup d'oeil à mes camarades, médusés par cette chute imprévue, oscillant entre l'inquiétude et le fou-rire... Qui d'ailleurs régnait au sein des coulisses ! Le reste du spectacle s'est très bien passé, peu de blancs, les enchaînements et transitions étaient respectés, seul bémol peut-être.. certaines voix ne portaient pas assez, mais cela sera corrigé pour ce soir. C'est le final, les applaudissements pleuvent et nous irradient de bonheur.. le salut est émouvant, beaucoup de nos amis sont dans la salle et dans la pénombre, nous essayons de reconnaître des têtes ! Le public sort, content apparemment et nous faisons alors un petit debriefing avec nos metteurs en scène et nos professeurs. Nous sommes ensuite libérés mais devons être de retour au self pour 18h30 pétantes. Le soleil brille et les oiseaux chantent lorsque nous sortons de la salle, j'ai presque la sensation d'être dans un autre monde, une autre dimension. Je n'ai tellement pas l'impression que nous venons à peine de jouer devant un quart du lycée..! La tension retombe et les nerfs lâchent, nous ne nous reconnaissons plus tellement les inepties sortent de nos bouches, le rire nous vient si facilement que nous nous en tenons rapidement les côtes ! Assises près de la passerelle, au soleil, nous partageons nos émotions, notre ressenti et nos craintes pour le grand soir. Très vite le buffet froid est servi ! Après le repas, une élève prend la parole et souhaite porter un toast à tous les auteurs de ce superbe projet, nos responsables et Christophe et Zouliha bien sûr. Puis s'en suit une petite chanson, que nous avons écrite tous ensemble à propos de détails quotidiens comiques tout au long de l'année, mais aussi de cette semaine en résidence, si intense en émotions. Madame Guilloteau semble très émue, le proviseur paraît amusé à la vue des paroles assez décalées de notre hymne et nous, les élèves, nous savourons ce moment particulier, plein de complicité et de joie. Il est maintenant 19 heures, nous remontons tranquillement la route jusqu'au Quai des Rêves, rassurés par notre prestation de l'après-midi et motivés comme jamais pour nous lâcher complètement ce soir ! C'est l'effervescence dans les loges, l'excitation est à son comble et chacun y va de sa petite blague, histoire de détendre un peu l'atmosphère. Les costumes sont mis en place, les accessoires rangés et nous sommes prêts à accueillir le public. Nous assistons donc une seconde fois à l'arrivée des spectateurs, la rumeur lointaine qui gronde, le bruit des pas et des voix que l'on reconnait parfois... C'est également la seconde fois que nous entendons le discours de Christophe et Madame Guilloteau, nous l'écoutons, fébrilement et nous savons que dans quelques instants, le rideau va se lever et le spectacle va commencer ! Chaque seconde, chaque minute, chaque scène possèdent un charme particulier, nouveau. C'est la Première, et la dernière. Et c'est tellement magique. J'en viens presque à envier Molière d'être décédé sur scène... n'y a-t-il pas de meilleur endroit..? Tout est dans l'illusion, tout est dans le spectacle, le public assiste à un déchaînement de lumière, de sons et de gestes calculés à la seconde près, tout défile et prend forme, sous ses yeux. N'ayant jamais foulé d'autres scènes que le Quai des Rêves, je ne sais donc pas si ce plateau est unique, mais je sais que ce soir-là il était réellement magique ! Le spectacle était superbe à voir, du moins des coulisses, seul point de vue auquel j'avais accès de toute façon.. ainsi que sur scène bien sûr, mais c'est très différent, car la vague de spectateurs qui s'élève ainsi devant nous et qui à chaque salve d'applaudissements menace de déferler, ne nous permet pas réellement d'avoir une perspective générale. Mais voilà le final et soudain, alors que nous nous tournons vers l'écran qui diffuse une vidéo de Jacques Prévert, récitant un très beau poème dédié à Vian et Ursula, le temps s'arrête. Je prie alors très fort pour que ce moment ne s'arrête jamais, que cette vision soit pour toujours gravée en moi, car nous sommes là, nous, les Premières L, tous ensemble sur cette scène, tournés vers la même direction avec la même expression sur le visage. Un mélange de soulagement, de jubilation, de nostalgie et de fierté. Pourquoi que j'vis ? Parce que je voulais pas crever sans avoir vécu ça. Puis enfin, le salut, tous main dans la main, des étoiles pleins les yeux, des larmes aussi, mais on ne le montre pas. Monsieur le proviseur, Madame Guilloteau, Madame Dabchy et nos metteurs en scène préférés nous rejoignent sur le plateau. S'en suivent quelques paroles, des remerciements et de l'émotion... beaucoup. Je fixe ce public, jamais je ne veux oublier cette image, j'observe mes camarades et ce regard en dit long également, nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas oublier ce vendredi 4 avril 2014.

Merci. Merci de nous avoir permis de vivre cette expérience inoubliable, de nous avoir permis de relever un défi aussi beau, merci d'avoir cru en nous, de nous avoir poussé jusqu'au bout, à chaque fois. Merci de donner ce côté magique à la Première L, de nous permettre de ressentir de telles émotions, si fortes, intenses et inoubliables.

 

Merci pour tout.